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Le lait, bon ou mauvais ?

Par Le 22/05/2020

Le lait : bon ou mauvais pour la santé ? Entrevue de Jean-Michel Lecerf

Entrevue avec Jean-Michel Lecerf, Chef du service de nutrition de l'Institut Pasteur de Lille, Médecin nutritionniste , spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques.

 

"Le lait n'est pas un mauvais aliment !"

Jean-Michel Lecerf, quels sont les bienfaits nutritionnels avérés du lait ?

Le premier bénéfice, c’est la composition exceptionnelle du lait au niveau des protéines. Elles font partie des plus complexes et des plus complètes et comprennent à la fois des protéines rapides et des protéines lentes. Une étude a notamment montré qu’une protéine isolée du lait permettait d’augmenter de façon considérable le taux plasmatique de certains acides aminés, notamment la leucine dans le sang, pour la prévention du vieillissement musculaire.
Ensuite, les graisses du lait sont celles qui contiennent le plus de types d’acides gras différents. Cela ne signifie pas que tous les corps gras du lait sont intéressants mais certains acides gras mineurs ont des effets extraordinaires sur des tas de fonctions.
Enfin, le lait est l’aliment qui renferme la plus grande diversité de micronutriments en nombre et en quantité, parmi lesquels le calcium évidemment, mais aussi l’iode, le phosphore, le sélénium, le magnésium... En ce qui concerne les vitamines, la contribution du lait est forte puisqu’il apporterait entre 10 et 20 % des apports conseillés.

La recherche a-t-elle pu prouver que la consommation de lait était bénéfique pour la santé ?

Effectivement, la nutrition est une chose mais la santé en est une autre. De plus en plus, la recherche décrit des bénéfices santé exceptionnels sur des aspects inattendus. Il y a d’abord un lien entre la consommation de lait et la prévention du syndrome métabolique et du diabète de type 2. Les études sont très nombreuses et la relation de cause à effet est très probable. On le sait grâce à certains acides gras marqueurs très particuliers que l’on ne retrouve que dans les graisses laitières. Ensuite, la recherche penche pour un bénéfice du lait sur le risque cardio-vasculaire et notamment sur le premier infarctus. Cela pourrait être lié au calcium mais rien ça n’est pas certain. Il y a également un effet favorable du lait sur le poids pour des raisons de rassasiement et de satiété, une diminution nette et confirmée du cancer colorectal et un intérêt certain du lait dans la prévention de la sarcopénie liée à l’âge et la dénutrition.

Qu’en est-il du lien supposé avec l’ostéoporose ?

Sur le plan des fractures, on manque d’études d’intervention formelles. Des études d’observation montrent en revanche clairement que ceux qui consomment du lait ont moins de risques que ceux qui n’en consomment pas. A condition de ne pas trop en consommer si l’on se fie à la dernière étude BMJ (le risque de mortalité précoce est presque doublé chez les femmes qui boivent 3 verres de lait par jour ou plus selon celle étude, ndlr). Les études d’intervention effectuées sur la densité minérale osseuse montrent bien un effet favorable, mais il existe trop peu d’études disponibles sur la fracture et l’ostéoporose permettant d’établir un lien certain.

A l’inverse, avez-vous pris connaissance d’études qui démontraient le lien entre le lait et certaines affections ?

Il existe bien quelques études impliquant le lait dans la survenue du cancer de la prostate. Le WCRF (World Cancer Research Fund International) vient toutefois de rendre un avis très intéressant où la responsabilité du lait a été reclassé en « évidence limitée ». Cela signifie que c’est toujours à l’étude. Les études d’observation montent que s’il y a un lien, c’est pour des apports très élevés, de l’ordre de 1,5 à 2 litres de lait par jour. Des études expérimentales en cours effectuées chez l’animal montrent que le calcium à forte dose serait associé à une augmentation du risque et à l’inverse les produits laitiers seraient associés à une diminution. La prudence est donc de conseiller de ne pas consommer de très grosses quantités de produits laitiers, c’est-à-dire au moins un litre ou deux litres, ou l’équivalent. Cela semble logique.

On accuse également souvent le lait de renfermer des facteurs de croissance susceptibles de provoquer des cancers. Qu’en est-il réellement ?

Il y a eu effectivement toute une polémique qui a fait l’objet d’une saisine de l’ANSES sur ces facteurs de croissance. En l’état actuel des choses, il n’y a pas de relation de cause à effet établie. Cependant, il est évident qu’il ne faut pas consommer trop de protéines.

Il y a dans le sang des facteurs de croissance qui sont des facteurs de promotion comme les oestrogènes. Et il y en a également dans les produits laitiers. Ces facteurs sont très bien absorbés chez le tout-petit, et ça tombe plutôt bien car ils sont présents dans le lait de femme et ils servent à faire grandir l’enfant. Mais, avec le temps, il y a des enzymes qui font que ces facteurs de croissance ne sont plus absorbés. Et de toute façon, le chauffage UHT les inactive complètement. En réalité, ce ne sont donc pas les hormones de croissance du lait qui sont responsables des taux d’hormones de croissances circulant dans le sang, c’est autre chose. Ce sont les protéines. Les protéines font fabriquer par le foie des facteurs de croissance qu’on retrouve ensuite dans la circulation. Trop de protéines et donc trop de facteurs de croissance ne sont donc pas souhaitables : cela contribue à la grande taille des enfants, mais aussi à l’obésité et peut-être, en excè, à un effet de promotion tumorale. Les enfants consommeraient 4 fois trop de protéines par rapport à leurs apports conseillés !
Mais le lait n’est pas le seul responsable de ce phénomène : toutes les protéines, y compris celles issues des végétaux ont cet effet.

Comprenez-vous que l’on se détourne du lait au profit de certains produits alternatifs comme les boissons végétales ?

En nutrition, il y a de plus en plus de gens qui partent en croisade contre des aliments, des ayatollahs. Cela peut parfois même concerner certains professionnels de santé mais qui ne sont pas forcément compétents en nutrition et qui manquent de rigueur scientifique. Quand on est scientifique, on est ouvert à tout : on a une hypothèse et on essaye de savoir si elle est vraie. Or, les détracteurs du lait ne vont pas dans ce sens-là, ils affirment que le lait est néfaste et tentent tout pour le démontrer.

Plusieurs nutritionnistes rapportent que certaines personnes se sentent beaucoup mieux après avoir arrêté de consommer du lait. Comment l’expliquez-vous ?

Je connais bien ce phénomène puisque je suis également clinicien et que j’ai sans doute vu 50 000 à 60 000 patients dans ma carrière. Il existe plusieurs cas de figure. D’abord, le lait peut être responsable de troubles comme des intolérances au lactose. Cela provoque des troubles, pas majeurs mais embêtants, qui sont toujours liés à la quantité et la qualité du produit laitier consommé. Des allergies aux protéines du lait de vache sont également possibles. Dans ces cas, l’arrêt du lait va effectivement provoquer la disparition des troubles liés à sa consommation.

Pour les autres catégories de personnes, la sensation de mieux-être après l’arrêt du lait peut être liée au changement des habitudes de vie alimentaire. Ces effets ne sont pas forcément liés à un aliment donné, mais à un changement. Quand vous changez vos habitudes, par exemple si vous jeûnez, vous allez ressentir des choses différentes par rapport à votre corps. Mais est-ce que ces effets seront durables dans le temps ? Est-ce qu’ils sont attribués au lait ? Il ne faut pas non plus négliger l’effet placebo qui est un effet majeur de la médecine. Des études effectuées sur des personnes qui étaient intolérantes au lactose ont montré que leurs symptômes s’amélioraient lorsqu’on leur faisait consommer du lait sans lactose ou avec lactose mais sans leur dire quel produit ils buvaient.

Les détracteurs du lait arguent que le lobby du lait influencerait le PNNS (Programme National Nutrition Santé). Comment expliquez-vous que les autorités recommandent 3 à 4 produits laitiers par jour alors que l’OMS ne recommande que 400 à 500 mg de calcium par jour (un verre de lait en fournit environ 300 mg) ?

Les laitiers font leur travail mais ce ne sont pas eux qui dictent les recommandations au PNNS. Que les lobbys laitiers cherchent à vendre leurs produits, ça n’est pas étonnant. Qu’ils cherchent à influencer, peut-être. Mais au final, ce sont les scientifiques qui décident. Ca me choquerait que le PNNS comme l’ANSES soient à la solde des produits laitiers. Pour l’OMS, vous avez en revanche raison. Les recommandations de l’OMS n’ont pas du tout la même finalité que celles des agences de sécurité sanitaire ou les PNNS qui donnent des apports alimentaires conseillés. En fait, il y a beaucoup de discordance. L’OMS part du principe qu’ils s’adressent à l’ensemble de la population mondiale et que le but est au moins d’atteindre une limite pour des gens qui sont à des niveaux très bas. Quand vous avez des populations qui consomment 300 ou 400 mg de calcium par jour, si vous leur dîtes que l’objectif est de 500 mg, c’est un minimum. Ce sont des recommandations de sécurité très basiques, si vous regardez ce que l’OMS recommande pour les calories, les lipides, ce n’est pas non plus la même chose. Etudiez les recommandations en termes de calcium de toutes les agences de sécurité alimentaires de nombreux pays asiatiques ou occidentaux, on est à peu près toujours au même niveau, c'est-à-dire aux alentours de 800 et 900 mg de calcium conseillé. Finalement, il y a peu ou pas de contradictions. La finalité de l’OMS, c’est lutter contre la malnutrition.

Que pensez-vous de cette théorie selon laquelle le lait augmenterait le risque de maladies chroniques ?

Il n’est pas exclu que le lait augmente le risque de maladies intestinales, rhumatismales, inflammatoires... C’est une hypothèse possible, il ne faut jamais rien écarter. Certains avancent cette allégation du fait d’une perméabilité intestinale accrue. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune étude qui l’accrédite. C’est vraiment embêtant. S’il y a des chercheurs qui observent ce phénomène, pourquoi ne les publient-ils pas ? De plus, quand on regarde les études qui sont déjà parues, on ne constate pas du tout ça puisqu’elles montrent que le lait aurait un effet anti-inflammatoire. Alors comment expliquer que cliniquement le lait deviendrait pro-inflammatoire ? On a du mal à comprendre... Certains de mes patients ont arrêté le lait, ils ont eu quelques améliorations, puis au bout de quelques temps, tout est revenu.

Je ne défends pas le lait mais je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’on fasse passer le lait pour un mauvais aliment et qu’il faut s’en passer. C’est ridicule et cela peut être dangereux notamment dans la couverture des apports conseillés. On en revient toujours au même, manger trop d’un aliment quel qu’il soit n’est pas bon.

Source: www.passeportsante.net